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Gagner la guerre de Jean-Philippe JAWORSKI
31 décembre 202031 décembre 2020
Maureen
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challenge, coup de coeur, fantasy, fantasy cards challenge, jean-philippe jaworski, lecture commune, les moutons électriques, récits du vieux royaume
Gagner la guerre
de Jean-Philippe JAWORSKI
Les Moutons électriques,
2013, 682 p.
Première Publication : 2009
Pour l’acheter : Gagner la guerre
Jean-Philippe Jaworski a suivi des études de lettres et enseigne le français en lycée, dans la région de Nancy. Il a collaboré au magazine Casus Belli, créé Tiers Âge, un jeu de rôle gratuit sur la Terre du Milieu, et Te Deum pour un massacre, un jeu de rôle historique sur les guerres de religion. Janua Vera était son premier recueil de fictions, Gagner la guerre son premier roman.
♣ Rois du Monde, Tome 1 ♣ Tome 2 ♣ Tome 3 ♣
♣ Janua Vera ♣
♣ ♣ ♣
Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…
Publié pour la première fois en 2009, Gagner la guerre a depuis, gagné ses lettres de noblesse. Devenu un des monuments du genre, il prouve que la fantasy française peut offrir des œuvres d’ampleur. Mais se lancer dans un tel monument, cela peut être intimidant. Et si je n’accrochais pas ? Et si je m’ennuyais pendant ces centaines et ces centaines de pages ?…
Trois semaines de lecture commune (en compagnie de Lyvresse et Baboutte) et quasiment 700 pages plus tard, verdict : j’ai A-DO-RÉ !
Gagner la guerre c’est l’histoire de Don Benvenuto Gesufal, un personnage peu fréquentable (c’est le moins que l’on puisse dire), assassin particulier de Leonide Ducatore, un des podestats de la République de Ciudalia.
Benvenuto nous livre son histoire telle qu’elle est, authentique et sans censure. Alors oui, les mémoires d’un méchant sont remplies d’actes odieux et de pensées détestables, mais elles appartiennent à un méchant ; il ne peut en être autrement. Le narrateur est un assassin, un tueur de sang froid, un mercenaire, un voleur, un truand, un menteur, un violeur… il agit et pense comme tel. La seule chose qui compte pour lui c’est sa survie dans un monde où les manipulations politiques vont bon train. S’il doit comploter, mentir, violenter, tuer… il le fait et sans aucun remord. Il ne s’embarrasse pas de morale. Non, ce n’est ni politiquement correct ni édulcoré. Alors non, si ce genre de personnages vous dérangent et vous fâchent, ne lisez pas les aventures de Benvenuto car Jean-Philippe Jaworski ne nous épargne aucun détail.
“Je sers l’État, ce qui implique que je dois parfois lui sacrifier certaines valeurs. Mais c’est parce que la République est portée par des êtres tels que moi que les personnes de qualité comme vous peuvent se permettre le luxe d’une moralité sans faille.”
Et c’est là également la force de ce livre : le détail. Les descriptions sont telles que le lecteur est transporté au cœur de l’action, auprès de Benvenuto : sur un bateau, dans des geôles, dans la cité de Ciudalia, au cœur de la forêt, dans une auberge… tout prend vie sous nos yeux, l’expérience est totale.
Je n’oublierai pas de sitôt les quelques jours passés en prison en compagnie du narrateur alors qu’il souffre de nombreuses blessures, notamment au niveau de son visage, boursouflé de pus et de tuméfactions. Yeurk. L’exécution devant un palais de Ciudalia, me laisse également des souvenirs assez vifs du bruit des corps qui s’entrechoquent et tombent lourdement sur les pavés. Que dire des scènes de poursuite sur les toits de Ciudalia, dignes d’un film de capes et d’épées ! Quant à l’angoisse des nuits dans la forêt, visitées par une petite fille un peu trop présente… J’en ai encore des frissons dans le dos !
Vous souhaitez de la dark fantasy avec du sang, de la boue, des humeurs visqueuses et tout le toutim : allez-y. En revanche, si les nombreuses et longues descriptions dans lesquelles rien ne nous est épargné ne vous intéressent pas, Gagner la guerre n’est peut-être pas fait pour vous.
Malgré tout, l’auteur sait mener sa barque. Souvent qualifié de littéraire et dense, le style de Jean-Philippe Jaworski est surtout si bien maîtrisé qu’il s’avère très fluide – mais jamais pompeux ! – malgré le soin qui lui est apporté.
Et puis, même si on n’est d’accord ni avec les agissements ni avec les pensées de Benvenuto, on suit ses aventures jusqu’au bout car c’est un narrateur hors pair qui accroche son lectorat et ne le lâche plus jusqu’à la dernière page ! Tant de verve et de bagout (l’argot de la Guilde… exceptionnel !) chez ce personnage qui mêle ironie et humour aux scènes les plus violentes et difficiles. Le court chapitre 11, dans lequel il s’adresse directement à ses lecteurs, vaut son pesant d’or !
“Si vous avez lu ce récit jusqu’à cette page, c’est que vous êtes d’une notable inconscience. Vous devez appartenir au fretin des fouineurs et des indiscrets, à ces étourneaux qui ne résistent pas à un fumet de ragots et de linge sale. Tant pis pour vous. Avec ce que vous avez appris, vous y êtes déjà dans les draps où je me suis roulé, tout poissés de sang, de mensonge et de trahison.”
En suivant ce salopard, c’est toute la politique du Vieux Royaume que l’on découvre. Finalement, Benvenuto n’est qu’un pion, loyal à son patron qui a des vues certaines sur les royaumes d’à côté. Un pion qui se retrouve sur un échiquier qu’il ne maîtrise finalement pas si bien que ça.
Les politiciens sont des manipulateurs ; Benvenuto évolue dans un vrai panier de crabes ! Il vaut mieux se méfier de tout et de tout le monde, et surtout de ses alliés car au final, chacun fait cavalier seul et peut vous planter un couteau dans le dos… Benvenuto autant que les autres !
Gagner la guerre est un titre qui a un peu mauvaise presse sur les réseaux ces derniers temps. On lui reproche une scène de viol particulièrement choquante. Oui, c’est une scène dure et choquante. Mais contrairement à d’autres titres dans lesquels les violences faites aux femmes sont romantisées (et c’est grave !), ici, c’est clair depuis le début : Benvenuto est un salopard ! Il agit comme tel. C’est un sale type avec tout le monde et dans toutes ses pratiques, ça n’aurait absolument pas été crédible de lui faire jouer une scène d’amour courtois (il pourrait tuer sans problème tout le monde mais devrait bien se comporter avec les femmes ?).
Alors oui, on pourrait se demander si cette scène de viol a une utilité dans le roman… encore une fois, pourquoi les scènes d’assassinat (hommes, femmes, enfants… pas de jaloux) seraient « tolérables » mais pas celle-ci ? Oui elle est terrible, mais à mon sens, elle montre les liens compliqués qu’entretient Benvenuto avec son patron et illustre un peu plus le caractère du personnage (qui est un sale type, s’il est encore nécessaire de le rappeler).
Bref, une scène certes choquante mais qui a sa raison d’être.
Avec Gagner la guerre, Jaworski met en scène un salopard de A à Z et le fait avec brio ! Benvenuto est un narrateur exceptionnel qu’on adore lire, mais un sale type qu’on ne prendrait ni comme ami ni comme modèle !
Ma lecture terminée, je n’ai qu’une envie : m’y replonger en écoutant la version audio et relire l’adaptation en BD et le merveilleux recueil Janua Vera !
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