Les Lanceurs de feu de Jan CARSON
Les Lanceurs de feu
de Jan CARSON
Sabine Wespieser Editeur
2021, 384 p.
Première Publication (vo) : 2019
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Comptant parmi les voix émergentes de la scène littéraire contemporaine d’Irlande du Nord, Jan Carson est née dans une famille protestante en 1980, à Belfast. Elle y vit toujours et y anime des ateliers artistiques. Publiée depuis une dizaine d’années dans sa langue, Jan Carson est l’auteur de romans, de recueils de nouvelles et de micro-fictions. Les Lanceurs de feu, lauréat de l’édition 2019 du prix de littérature de l’Union européenne et finaliste du Dalkey Book Prize, a été traduit en plusieurs langues, notamment en français (Sabine Wespieser éditeur, 2021), où sa publication a été saluée par la presse et les jurés des prix Médicis et Femina étrangers, dont elle a été double finaliste. En 2022-2023, Jan Carson bénéficiera de la résidence ARIEL à Nancy. Un nouveau roman, dont le titre original est Raptures, paraîtra en traduction française en janvier 2023. (Sabine Wespieser)
À Belfast, l’été 2014 restera dans les mémoires comme celui des Grands Feux. Bien avant les foyers traditionnellement élevés à l’occasion de la parade orangiste du 12 juillet, de gigantesques incendies illuminent la ville en toute illégalité, ravivant le spectre des Troubles.
Jan Carson choisit les trois mois de cette saison si particulière pour confronter le quotidien de deux pères de famille, l’un et l’autre rongés par l’angoisse. Jonathan Murray, médecin, ne cesse de se remémorer la nuit de garde pendant laquelle il n’a pu résister à la voix enchanteresse d’une femme qui le hante désormais. Élevant seul leur enfant, il oscille entre le ravissement et la terreur de découvrir sur le petit visage inoffensif l’empreinte de sa fascinante génitrice… Quant à Sammy Agnew, ancien paramilitaire loyaliste, il tremble de devoir s’avouer que, sur la vidéo anonyme et virale du « Lanceur de feu » appelant à propager la rébellion, il reconnaît la silhouette de son propre fils.
Dernier titre découvert lors de l’édition 2022 du challenge The Irish Readathon. La paternité irlandaise au cœur du récit, encore. Mais en Irlande du Nord cette fois ; alors qu’A l’irlandaise de Joseph O’Connor se situait à Dublin.
Pas un mais deux pères sous la plume de Jan Carson, dans le chaud été Belfastois de 2014.
Le feu couve et quelques étincelles jaillissent dès le mois de juin dans les quartiers Est de la capitale (alors que le traditionnel défilé orangiste n’aura lieu que le 12 juillet, comme chaque année). Une vidéo circule dans laquelle un homme masqué appelle la jeunesse aux incendies et aux émeutes. Sammy, un ancien paramilitaire loyaliste qui a commis quelques horreurs, reconnaît son fils Mark dans cette silhouette. Il l’a toujours su, il a toujours senti que son enfant avait hérité de sa cruauté mais là où lui l’évacuait par la « simple » violence, le jeune homme fait montre d’une froideur et d’un calcul encore plus inquiétants. Lui a-t-il transmis tout ça ? Est-il responsable de ses actions et des débordements de cet été 2014 ?
Quelques rues plus loin, Jonathan apprend la cohabitation avec un nouveau-né. Le sien. C’est Sophie, une petite fille arrivée presque par magie. Une chimère en devenir, surtout si elle suit les traces de son étrange mère. Comment peut-il gérer ce petit être dont il est dorénavant responsable ? Comment offrir les meilleures chances à sa fille en la protégeant de l’extérieur et surtout, sans libérer la monstruosité qui sommeille en elle ?
Dans une ville folle où un conflit sans fin voit sans cesse se répéter les mêmes erreurs et s’affronter des milliers d’habitants, malgré des accords de paix entérinés, comment être père ?
La quatrième de couverture laissait présager une rencontre et une véritable entraide entre les deux hommes. Mais cet aspect n’entre en jeu que dans le dernier tiers du roman et n’est pas tellement développé (en tout cas beaucoup moins que je l’imaginais). Il y a en fait très peu de scènes partagées par les deux pères même si, effectivement, elles permettent des « déclics » pour chacun d’eux. Sammy et Jonathan se retrouvent finalement assez isolés dans leur paternité, les questionnements et l’angoisse qu’elle engendre.
Quel titre étrange que celui-ci. Quelle beauté dans la description si réaliste et poignante de la paternité coupable vécue par Sammy mais quel « what the fuck » que le réalisme magique de la rencontre de Jonathan avec une sirène… je sais bien que la métaphore est de mise mais j’ai parfois eu du mal à passer d’un chapitre à l’autre tant j’avais l’impression d’un décalage : happée par la paternité vécue par le premier mais plutôt très étrangère à la seconde.
Ce n’est pas une lecture facile que ce roman et je ne sais toujours pas si je l’ai aimée… mais elle m’a marquée, ça oui ! Et je suis assez curieuse de lire le prochain titre traduit en français de Jan Carson (début 2023 a priori).