Bordeterre de Julia THEVENOT
Bordeterre
de Julia THEVENOT
Sarbacane (Exprim’)
2020, 524 p.
Première Publication : 2020
Pour l’acheter : Bordeterre
Née à Tours en 1990, Julia Thévenot a déclaré à six ans qu’elle voulait devenir écrivain — « à côté d’un vrai métier » parce qu’elle avait le sens des réalités. Après un bac L, des études de linguistique, une licence de droit et un master Patrimoine & Édition à Tours, elle a finalement décidé de se spécialiser dans la littérature jeunesse — à cause de J. K. Rowling et Clémentine Beauvais. (C’est leur faute.) C’est ainsi qu’elle a découvert que ce domaine littéraire avait tout à fait le sens des réalités, et qu’elle est donc subséquemment devenue, d’abord, blogueuse littéraire à son service (Allez vous faire lire sur les réseaux), puis assistante d’édition chez Sarbacane, et enfin écrivaine. Bordeterre est son premier roman. (Sarbacane)
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Inès, 12 ans, est le genre à castagner ceux qui cherchent des embrouilles à son frère, Tristan, autiste de 16 ans. Tristan lui, est plutôt du genre à regarder des deux côtés avant de traverser. Mais ce jour-là, il ne parvient pas à retenir sa sœur qui, courant après son chien… … bascule dans un univers parallèle. Bordeterre. C’est le nom de cette ville, perchée sur une faille entre deux plans de réalité. On y croise des gamins qui chantent pour faire tourner un moulin, des châtelains qui pêchent des cailloux… et des créatures étranges. Inès, par nature, est ravie. Elle explore, renifle le derrière de Bordeterre avec une joie souveraine, comme le chien qu’elle a suivi. Tristan est plus inquiet : il y a quelque chose de pourri dans cette ville.
Bordeterre, voilà un joli écrin pour un texte qui semble avoir recueilli tous les suffrages – du moins de la critique professionnelle – mais qui pour ma part, n’aura pas été une lecture de tout repos.
Les premières pages me laissaient sceptique, pas convaincue par l’univers mis en place et les personnages prenant vie sous la plume de Julia Thévenot ; j’ai même sérieusement cru abandonner, ne trouvant pas d’émotions dans cet imposant roman. Et puis, contre toute attente, entre la page 80 et la page 100, le déclic s’est produit. De nouveaux personnages entrent en scène, un aspect un peu plus politique se met en place… voilà qu’après l’ennui profond c’est l’avide curiosité qui s’est révélée. Et si le dénouement a fait retomber un peu l’enthousiasme, dans l’ensemble, je sors finalement convaincue par ce Bordeterre.
Tout commence par un saut dans le vide au bord de la falaise. Tristan et sa jeune sœur Inès suivent non pas un lapin blanc dans son terrier mais leur chien à travers une brèche et atterrissent, à Bordeterre. Après une rencontre assez traumatisante avec un monstre qui leur suçote la tête (!), les deux adolescents se réveillent à l’infirmerie, branchés à une perfusion que l’hyperactive Inès retire au plus vite. Après une évasion spectaculaire et la révélation de leur impossibilité à rentrer chez eux, commence alors la découverte de l’univers et des créatures qui y évoluent.
C’est simple, à Bordeterre il y a d’un côté les riches bourgeois qui dirigent avec caprice et profitent allègrement des pouvoirs magiques du Quartz (pêché dans un lac bien particulier) et de l’autre, le peuple qui s’épuise au travail. Une hiérarchie assez simple que nos deux héros vont intégrer, chacun de leur côté. Inès va être recueillie par les puissants et perdre petit à petit son identité alors que Tristan va gagner en maturité et se révéler au sein des jeunes rebelles des bas quartiers.
Évidemment, et c’est là tout l’intérêt du roman, tout n’est pas si manichéen : les riches ne sont pas les grands méchants tout noirs de l’histoire et les pauvres les grands gentils tout blancs ; non, c’est plus complexe et c’est ce que le lecteur va découvrir à travers le séjour du frère et de la sœur.
L’originalité n’apparaît pas tant dans l’intrigue que dans la conception de la magie qui ne se révèle qu’à l’aide de mots ; mais pas des mots parlés, non, des mots chantés. Julia Thévenot cite donc de très nombreuses chansons du répertoire français (plus ou moins récent) qu’elle met en scène, souvent avec justesse. Ainsi, le célèbre « Meunier, tu dors » est répété en boucle toute journée par les travailleurs pour activer le moulin de Bordeterre et la rengaine de Peter Pan « Tu t’envoles » pourrait bien permettre de voler sur quelques mètres.
Les mots ont une force, un pouvoir qui prend de l’ampleur si la conviction est là. Les jeunes rebelles ont bien compris que les mots pouvaient changer le cours des choses et leur faire retrouver leur liberté bafouée. C’est ainsi qu’un journal révolutionnaire est créé. Les articles qu’il contient rassemblent chaque jour un peu plus d’adeptes prêts à en découdre.
J’ai aimé ce message que j’ai trouvé plein d’espoir. Les mots rassemblent et la cohésion ainsi créée est capable de soulever des montagnes. J’ai senti la force et l’intensité des émotions grâce à la plume de Julia Thévenot et c’est ce que j’ai envie de retenir de ma lecture.
Alors j’oublie les premières dizaines de pages un peu étranges et l’évolution d’une relation amoureuse qui ne me paraît ni vraiment crédible ni même très utile et je me concentre sur la poésie qui se dégage de la plume de l’autrice et sa belle intention pleine d’espoir.
J’ai connu les montagnes russes avec Bordeterre : l’ennui qui a frôlé l’abandon, la curiosité et l’émotion intenses jusqu’à une fin qui est légèrement retombée. Mais si je fais un bilan, je me dis que j’ai vraiment bien fait de persévérer car il aurait été dommage que je manque la beauté des mots chantés par Julia Thévenot.
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