L’Estrange Malaventure de Mirella de Flore VESCO
L’Estrange Malaventure de Mirella
de Flore VESCO
L’Ecole des Loisirs (Medium +),
2019, 216 p.
Première Publication : 2019
Pour l’acheter : L’Estrange Malaventure de Mirella
Flore Vesco est née à Paris en 1981. Elle a longtemps hésité entre le grand banditisme, la piraterie, et l’écriture. Elle n’a encore renoncé à aucun des trois. Après des études de lettres et de cinéma, elle a été chasseuse de primes, éleveuse d’autruches et professeur de français en collège. Elle a vécu à l’étranger, et sait dire « vous habitez chez vos parents ? » en slovaque, en maltais et en roumain. Aujourd’hui, Flore Vesco vit en région parisienne. Elle se déplace exclusivement en vélo, écrit, et tente de faire pousser des pommes. Elle aime les anagrammes, les mots de plus de trois syllabes, les listes, les anecdotes, et tout ce qui a des bulles (le champagne, le bain moussant, la bande dessinée…). (Son site)
♣ ♣ ♣
Moyen Age. Les rats ont envahi la paisible bourgade d’Hamelin. Vous croyez connaître cette histoire par coeur ? Vous savez qu’un joueur de flûte va arriver, noyer les rats en musique, puis les enfants d’Hamelin ? Oubliez ces sornettes : la véritable histoire est bien pire, et c’est grâce à Mirella, une jeune fille de 15 ans, qu’on l’a enfin compris. Jusqu’ici, elle passait inaperçue en ville – qui s’intéresserait à une porteuse d’eau, à une crève-la-faim, une enfant trouvée ? Seulement voilà, Mirella a un don ignoré de tous : elle voit ce que personne d’autre ne voit. Par exemple, elle a bien repéré ce beau jeune homme en noir, qui murmure à l’oreille de ceux qui vont mourir de la peste… Et ça lui donne une sacrée longueur d’avance. Y compris sur le plus célèbre dératiseur de tous les temps.
C’est avec cette Estrange malaventure que je découvre – avec plaisir – l’univers décalé et original de Flore Vesco. Dire que l’aventure de la jeune Mirella est un ovni est un euphémisme : le style est aussi étonnant que l’histoire. Attention, estrange livre que voilà !
Bon, avant toute chose, deux ou trois mises au point.
Contrairement à ce que j’ai pu voir passer dans certains retours de lecteurs et lectrices, Flore Vesco n’écrit pas ici en ancien français. Si si, je vous assure. Si c’était le cas, je vous promets, vous n’y comprendriez goutte. Exemple, juste comme ça.
Un extrait d’Yvain, le chevalier au lion :
« Qui m’a ochis mon boin seignour?
Boin? Voire le meillor des boins!
Voir Dix, li tors en sera tiens
Se tu le laisses escaper. »
On peut à la limite rapprocher le langage utilisé par Flore Vesco d’un texte tel que Gargantua de Rabelais. Mais on est alors plutôt au XVIe siècle, plus au Moyen Age.
Dans le même ordre d’idée, le texte laisse parfois apercevoir l’image de la jeune fille rousse dont tout le monde se méfie avec la perspective des bûchers de sorcières… Or, là aussi c’est un cliché qu’on attribue à tort au Moyen Age puisque les procès et la chasse aux sorcières ont surtout eu lieu à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle… Je rappelle tout de même que, grossièrement, le Moyen Age s’étale du Ve au XVe siècle. Dix siècles c’est déjà pas mal, on ne va pas lui ajouter quelques centaines d’années en plus.
Et enfin, et c’est une supplication aux blogueurs du monde entier – francophones du moins – : évitez d’utiliser le terme « moyenâgeux » à moins que vous ayez explicitement envie d’ajouter une connotation négative à votre discours ! Si vous voulez être plus neutre, c’est « médiéval ». Merci bien.
Maintenant que tout ça est dit et n’enlève rien aux qualités d’écriture et de conteuse de Flore Vesco, je peux l’annoncer : j’ai aimé cette malaventure fort originale et plaisante !
Parce que si on met de côté les petits clichés médiévaux, l’ambiance est franchement bien croquée : le petit bourg de Hamelin, ses échoppes, son bourgmestre corrompu, ses orphelins va-nu-pieds, ses rats, son joueur de flûte… son insécurité latente, sa misère et la menace quotidienne de la faim et des maladies. Bon, encore une fois, c’est limiter le Moyen Age à ses aspects les plus sombres et les moins reluisants… mais il faut avouer que c’est efficace, ça plante bien son décor.
Et dans celui-ci, au milieu des orphelins qui se tuent chaque jour à la tache, évolue une jeune adolescente débrouillarde et courageuse, notre héroïne : Mirella. Une gamine pas comme les autres. Déjà, parce que, comme je vous le disais, elle a de longues boucles rousses qu’elle tente tant bien que mal de cacher et surtout, parce qu’elle semble douée de capacités que tous les autres n’ont pas. Du genre un peu surnaturelles.
Disons qu’elle voit quelque chose de bien particulier et c’est ce don qui va lui permettre de tirer son épingle du jeu alors que l’épidémie de peste s’abat sur le village. Parce qu’une invasion de rats ce n’est pas suffisant, il faut surtout qu’ils amènent avec eux la maladie et la mort.
Réécrire le Joueur de flûte de Hamelin en lui ajoutant une petite peste (la maladie, pas l’héroïne… quoi que…) bien efficace c’est déjà plutôt intéressant dans la littérature jeunesse mais ça l’est encore plus quand on se rend compte que Flore Vesco n’hésite pas à insérer quelques détails franchement sombres à son histoire : ainsi, Mirella nous dit plusieurs fois, plus ou moins à demi-mots, qu’elle a déjà dû subir les assauts de plusieurs hommes depuis que son corps s’est transformé (pour devenir celui d’une jeune femme), la peste emporte des parents laissant derrière eux des enfants orphelins et affamés peut-être eux aussi bientôt victimes de la terrible maladie, le petit protégé de notre héroïne se blesse méchamment et c’est pas joli-joli… bref, il y a du détail glauque, triste, dur… l’autrice ne nous épargne rien.
Oui, mais elle le fait… avec humour. Noir certes, mais avec humour tout de même. Et dans un parler désuet, à « tendance médiévale ». L’association des scènes les plus terribles racontées avec force cynisme, c’est assez délicieux. Un peu comme les Sœurs Carmines d’Ariel Holzl, par exemple.
Flore Vesco y ajoute quelques remarques et réflexions bien senties sur le charlatanisme de certains chirurgiens-bouchers d’alors, la misogynie de l’Eglise et de ses représentants… là encore, c’est plutôt osé dans un titre jeunesse mais si bien amené !
Il faut en revanche se laisser emporter par l’histoire, par le rythme et surtout par la musicalité du style. Les premières pages ne sont pas forcément évidentes à parcourir et à digérer. Au début, il m’a fallu relire plusieurs fois certaines phrases pour être sûre de comprendre mais le vocabulaire un peu vieilli et la syntaxe chantante s’adoptent vite et c’est un plaisir étonnant.
Qui aurait cru qu’une histoire d’invasion de rats et de peste dans un petit patelin médiéval m’aurait autant fait sourire… C’est une réécriture intelligente, modernisée et cyniquement bien écrite ! Je ne sais pas quel effet ce texte surprenant a sur un lectorat adolescent mais il est clair qu’il ne laisse pas les adultes indifférents !
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