Fille de la tempête de Béatrice BOTTET
Fille de la tempête
de Béatrice BOTTET
Casterman (Epopée),
2006, 150 p.
Première Publication : 2006
Pour l’acheter : Fille de la tempête
Née en 1950, Béatrice Bottet a été professeure de Lettres et d’Histoire avant qu’elle ne décide de se consacrer à plein temps à son métier d’écrivain. Érudite et passionnée d’ésotérisme, elle écrit essentiellement des romans destinés à la jeunesse, mêlant trame historique, ambiance fantastique des contes et légendes, avec parfois une touche de science-fiction. Romancière de talent, à l’humour décapant, on lui doit, entre autres, Rififi sur le mont Olympe et Rififi pour Héraklès. Spécialiste de la mythologie grecque, en particulier de L’Illiade et L’Odyssée, elle est l’auteure d’albums de la collection La Mythologie en BD (Casterman). (Casterman)
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Je crois que les humains ne me voient pas, ou alors très rarement.
Seuls arrivent à m’entrevoir ceux qui traînent un peu au-dessus de la ville engloutie, les jours d’ouragan où, en fille de la tempête, je remonte à la surface des eaux admirer les flots déchaînés et les vents hurlants chargés d’écume. Fille de la tempête, la princesse Dahut nous entraîne à sa suite dans son royaume englouti. Le temps d’un souvenir, elle fait renaître pour nous l’ancien monde celtique, ses chevaux magiques, ses fées et surtout sa légendaire cité d’Is, construite pour elle par le roi Gradlon, sur une île au milieu des flots…
Alors que Noël approchait et que le vent soufflait depuis plusieurs jours sur le pays, j’ai eu envie de me plonger dans cette courte histoire d’à peine 150 pages achetée dans une bouquinerie lyonnaise en 2012. Mieux vaut tard que jamais.
Une célèbre légende bretonne…
Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la ville d’Is (ou Ys) ? Les spécialistes ne s’entendent pas toujours sur l’emplacement exact de la ville et de l’île qui l’abrite mais tous s’accordent sur son origine bretonne ! La légende est célèbre en Bretagne et régulièrement utilisée. Béatrice Bottet nous propose ici une réécriture destinée aux enfants/adolescents… mais pas que !
J’ai aimé la narration offerte à la sirène qui, on le comprend immédiatement, n’est autre que la princesse Dahut qui nous raconte ce qui lui est arrivée. L’utilisation du point de vue interne et donc de la première personne du singulier, permet un rapprochement sensible avec l’héroïne, une empathie plus facile. Ce qu’apprécient particulièrement, il me semble, les plus jeunes lecteurs (et les moins jeunes aussi).
…qui met en scène le conflit entre anciennes traditions païennes et nouvelle religion chrétienne

Si les enfants/adolescents retiendront surtout l’aventure d’une princesse transformée en sirène et l’intervention des fées sur une île bretonne (tradition du merveilleux celtique) ; les plus grands/aguerris noteront l’utilisation d’un vocabulaire déjà bien soutenu (avec des termes plutôt techniques lorsqu’il s’agit de décrire un bâtiment, dès le tout premier paragraphe par exemple) et surtout, deux thématiques fréquentes dans la matière de Bretagne (celte) : l’héroïne indépendante garante des anciennes traditions et le conflit inéluctable avec la nouvelle religion chrétienne.
La princesse Dahut, symbole de la femme celte
Deux thématiques qui me sont très chères et que j’ai beaucoup aimé retrouver ici, explicitées aux jeunes lecteurs grâce à des scènes et dialogues simples mais percutants.
Dahut est une enfant (vraisemblablement née d’une fée dans cette version proposée par Béatrice Bottet), une adolescente puis une femme attachée à sa liberté et à son indépendance. Elle règne sur son petit royaume (la ville d’Is) offert par son père avec bienveillance, gaieté et humanité. Les habitants l’apprécient et chacun y trouve son compte. Mais les moines (et conseillers de son père) ne peuvent laisser la jeune femme faire à son gré. Il lui faut un mari, il faut la « mater », ils n’en démordent pas et tentent d’imposer une église dans la ville. Dahut trouve une aide précieuse auprès des fées qui l’aident à bâtir une tour encore plus haute que le clocher, joli symbole de la puissance invaincue (pour un temps) des traditions païennes.
Une légende pour symboliser les chocs culturels
De nombreux spécialistes se sont penchés sur les messages cachés derrière cette légende. Personnellement, j’aime l’idée que la ville engloutie d’Is symbolise les anciennes traditions et qu’elle dort là, sous les eaux, prête à émerger à nouveau. Avec sa princesse Dahut et les fées qui l’accompagnent. Un jour.
Voilà ce qu’en dit Béatrice Bottet en postface :
« Du point de vue des historiens et spécialistes des mythes, des religions et des civilisations, l’histoire d’Is, ville engloutie, se situe à un carrefour important des chocs culturels. […]
Le mythe de la légende d’Is pourrait bien symboliser les luttes d’influence entre l’Eglise chrétienne, qui commence à s’établir par l’intermédiaire de ses moines, et l’ancienne religion symbolisée par Dahut. […]
De plus, l’Eglise est, à l’époque, particulièrement misogyne. Dahut représente le symbole à la fois des religions celtiques et du statut particulier de la femme celte. »
En me plongeant dans les eaux sombres entourant la ville d’Is, je pensais trouver une courte histoire pour les plus jeunes lecteurs : intéressante mais peut-être trop simplifiée… Non, définitivement non. Béatrice Bottet offre une version certes accessible aux enfants/adolescents mais aussi une réécriture aux thématiques qui parleront aux connaisseurs de la matière de Bretagne/celte. D’ailleurs j’ai bien envie de continuer l’aventure auprès de la princesse Dahut et de découvrir les autres écrits qui ont pu lui être consacrés.
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