The Wicked Deep de Shea ERNSHAW
The Wicked Deep
de Shea ERNSHAW
Rageot,
2019, 397 p.
Première Publication (vo) : 2018
Pour l’acheter : The Wicked Deep
Shea Ernshaw vit dans une petite ville de montagne de l’Oregon. Elle partage sa maison avec son époux, un petit chien répondant au nom de Diesel et deux chats très poilus. Rien ne la rend plus heureuse que de se perdre dans un bon livre ou dans la forêt… ou d’écrire. The Wicked Deep est son premier roman. On peut la retrouver sur sheaernshaw.com
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C’est une histoire de vengeance… Il y a près de deux siècles, Marguerite, Aurora et Hazel Swan, trois jeunes femmes belles, libres et indépendantes, furent accusées de sorcellerie par les habitants de la ville de Sparrow. Des pierres accrochées aux chevilles, les trois sœurs furent noyées. Exécutées. Depuis ce jour, chaque année au mois de juin, les sœurs Swan sortent des eaux de la baie pour choisir trois jeunes filles, trois hôtes. Dans le corps de ces adolescentes, Marguerite, Aurora et Hazel reviennent se venger. Et cette année encore, Penny le sait, alors que les touristes afflueront, on retrouvera des cadavres de jeunes hommes sur la plage… Car cette malédiction, rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Une malédiction, de la sorcellerie, une pointe de féminisme ; The Wicked Deep semblait plein de promesses… et finalement pas tant que ça. Mais malgré quelques facilités scénaristiques, des personnages pas forcément très originaux et un discours « féministe » quasi inexistant, plusieurs éléments méritent le détour et offrent une certaine consistance à cette histoire. La dernière page a donc été tournée avec une sensation mitigée mais pas de déception manifeste pour cette histoire imaginée par Shea Ernshaw.
Un potentiel féministe non développé
En lisant la quatrième de couverture, j’imaginais – sans doute à tort – que la malédiction lancée par les Swan Sisters, « trois jeunes femmes belles, libres et indépendantes », aurait un petit goût de féminisme. Sorcellerie + féminisme, a priori deux thématiques qui s’associent plutôt bien et offrent des histoires poignantes et fortes.
Or, et c’est bel et bien une déception, le passé de ces trois demoiselles ne nous est que fort partiellement conté. Au compte-gouttes. Un court chapitre par-ci par-là. On apprend quelques bribes de la vie de Marguerite, Aurora et Hazel mais surtout qu’elles étaient de viles séductrices qui n’hésitaient pas à tenter tous les hommes – mariés ! – de la ville de Sparrow. Que trois jeunes femmes aient été libres et indépendantes au XIXe siècle et aient fait ce qu’elles voulaient de leur vie/corps/âme, mille fois oui ! Que leurs mœurs aient semblé complètement déplacées au sein de la petite ville, ce n’est pas surprenant et on comprend aisément le cheminement jusqu’à l’accusation de sorcellerie. Mais pour dénoncer la cruauté de tels actes (le rejet de la société et la noyade des sœurs) encore aurait-il fallu présenter ces dernières aux lecteurs sous un jour avantageux et non pas les diaboliser comme si les villageois du XIXe siècle avaient raison sur toute la ligne.
Alors que les Swan Sisters auraient pu incarner des figures intéressantes, leur personnalité est tout juste effleurée et je n’ai vu en elle que des meurtrières aux mœurs légères. Attention, il y avait moyen de les rendre attachantes sans forcément en faire de parfaites gentilles !
Des sorcières ou des sirènes ?
Parce que oui, l’idée de cette malédiction est très bonne. Et découvrir comment les trois sœurs en sont arrivées à cette extrémité également. C’est l’élément qui ajoute un peu de surnaturel à l’intrigue, un peu d’étrange et de pesant. Et puis les histoires de malédiction c’est toujours intéressant parce que ça implique des données scénaristiques passées, des pièces de puzzle qui s’emboîtent pour expliquer le pourquoi du comment.
Alors les âmes de ces trois sœurs noyées qui reviennent chaque année pour se venger, sortent de l’eau, s’emparent du corps de trois jeunes filles et noient plusieurs garçons dans les eaux du port, ça a un petit côté sirènes et folklore maritime que j’aime bien.
Sauf que, niveau crédibilité, on repassera. Parce que depuis plus de 200 ans, les Swan Sisters reviennent CHAQUE ÉTÉ et tuent au moins 3 GARÇONS chaque année. Mais a priori ça n’inquiète PERSONNE. Les habitants de Sparrow continuent leur vie (personne ne déménage), râlent devant l’afflux de touristes attirés par cette histoire morbide ; personne ne croit vraiment à cette malédiction mais en attendant, personne ne mène d’enquête ou ne tente de résoudre le mystère (parce que bon, à raison d’au moins 3 morts par an pendant plus de 200 ans, faudrait peut-être faire quelque chose ?!). Tout est parfaitement NORMAL.
Des personnages pas franchement crédibles
Dans le même ordre d’idées, les réactions – ou plutôt les non-réactions – des personnages sont assez sidérantes. Sans vous spoiler, une des sœurs va être capturée (enfin, la jeune fille qui lui sert d’enveloppe corporelle) et enfermée pendant plusieurs jours sans que personne – ou presque – ne réagisse !
Je veux bien que la vindicte populaire soit forte, que l’effet de groupe soit là et que ce soit un peu le « principe » de la chasse aux sorcières mais quand même. Pas un adolescent n’est choqué de ce kidnapping – qui vire un peu au règlement de compte – et n’est tenté d’appeler la police alors que beaucoup d’entre eux ne croient même pas à cette histoire de malédiction (retenir une fille contre son gré et la tabasser en bande, c’est pas un crime à la base ?) ?! Ça me semble franchement difficile à avaler. Ou alors, tout le monde est hors moralité dans cette petite ville.
Un final et une atmosphère qui marquent les esprits
Malgré ces bémols, je n’ai pas eu de peine à lire ce petit roman dont l’intrigue – quoi que pas forcément très surprenante dans ses retournements de situations, l’histoire d’amour est un peu trop présente et clichée) – est plutôt bien menée, avec un bon rythme. La chute est d’ailleurs un réel point positif car évite les facilités. Alors elle laisse un goût un peu amer malgré les éclaircies mais je suis heureuse que l’autrice ait fait ce choix.
Mais ce que je retiens surtout de ma lecture, c’est l’ambiance offerte par Shea Ernshaw. J’ai sans peine imaginé l’atmosphère humide et écrasante de Sparrow. Une petite ville côtière, peu peuplée, entourée d’eau, cernée par les marées. Un lieu un peu grisâtre où les vieux bateaux dévorés par l’eau stagnent à quai, où le vent secoue constamment les cheveux, où le parfum de l’océan prend le dessus sur tout le reste… Bref, une petite ville où tout le monde se connaît, où les étrangers sont mal vus. Un huis clos oppressant et immersif.
Je pense qu’une série – les droits ont été vendus à Netflix – pourrait gommer les facilités scénaristiques, enrichir les personnalités un peu banales des héros et surtout, développer encore plus l’ambiance très pesante et prenante de cette histoire ; définitivement ce que je retiendrai de ce livre de Shea Ernshaw !