Dans la vallée de Hannah KENT
Dans la vallée
de Hannah KENT
Editions Presses de la Cité,
2018, 480 p.
Première Publication (vo) : 2016
Pour l’acheter : Dans la vallée
Née en Australie en 1985, Hannah Kent s’est fait connaître avec À la grâce des hommes (Presses de la Cité, 2015), son premier roman, best-seller international. Elle est cofondatrice et rédactrice en chef de la revue littéraire Kill your darlings. Dans la vallée est son deuxième roman.
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Le temps semble s’être arrêté dans ce village du sud de l’Irlande égaré dans la vallée et battu par la famine. Nóra Leahy a perdu son mari et sa fille et se retrouve seule avec son petit-fils de quatre ans, infirme. Pourtant, Nóra s’en souvient : quelques années plus tôt, Micheál marchait et commençait déjà à parler. Que lui est-il arrivé ? A-t-il été changé, remplacé pendant la nuit par les fées qui auraient posé un démon dans le berceau ? Est-ce à lui que la vallée doit la malédiction qui la frappe ? Mary, la jeune servante que Nóra vient d’engager, se laisse impressionner par les commérages du village et les rapporte à sa maîtresse. Ensemble, les deux femmes se mettent en quête de la seule personne en mesure de sauver Micheál : une originale, qui vit seule dans la lande et parle le langage des plantes. Car, même si tout le monde s’en méfie, on sait que la vieille Nance Roche a le don. Qu’elle communique avec le peuple invisible. Et qu’il n’y a qu’elle pour faire revenir ceux qui ont été enlevés…
Dans la vallée était le titre qui m’interpellait le plus lors de sa publication au moment de la rentrée littéraire de septembre. C’est l’avis très enthousiaste de Carolivre qui m’a poussée à l’acquérir dès que l’occasion se présenterait… ce qui n’a pas tardé ! Sitôt acheté, sitôt entamé. Et quelle émotion lors de cette lecture !
Campagne irlandaise, 1825. Le décor est posé. Misère sociale, grande pauvreté, froid, humidité, superstitions, curé de campagne influent… le lecteur sait dès le début, qu’il ne va pas franchement se marrer. Et ce n’est pas le premier chapitre qui va nous détromper puisque dans celui-ci, Nora apprend que son mari Martin est mort subitement à la croisée de deux chemins.
Dorénavant veuve, elle doit subvenir à ses besoins et à ceux de son petit-fils infirme de 4 ans : le petit Micheal (et non pas Michael), recueilli après la mort étrange de sa mère. S’en suit une très longue veillée funèbre pendant laquelle de très nombreux proches et voisins s’invitent dans la très modeste chaumière, apportant avec eux nourritures et boissons. Envahie dans son intimité, Nora ne pense qu’à une chose : cacher ce petit-garçon dont elle a honte.

Mais les habitants du coin cancanent et les commérages sont de plus en plus bruyants. Des lumières ont été aperçues juste avant la mort subite de Martin et d’ailleurs, la fille du couple n’est-elle pas elle-même morte dans des circonstances étranges ? Et le petit-fils est anormal ! C’est sûr, les fairies sont derrière tout ça ! Si les vaches ne donnent plus de lait, si les poules ne pondent plus, c’est depuis que le petit Micheal est arrivé ; tout est de sa faute !
Ne trouvant aucune aide autour d’elle, ni auprès des médecins ni auprès du curé, Nora se tourne vers la seule personne qui veut bien l’écouter et lui proposer une solution : Nance Roche, la vieille femme guérisseuse des environs. Autrefois louée par l’ancien homme d’église du coin, souvent appelée pour ses dons, Nance est de plus en plus traînée dans la boue. Lorsqu’elle guérissait, elle était tenue en grande estime pour ses dons et sa proximité avec les fairies (les Bonnes Gens) ; alors que des accouchements se passent mal et que la misère prend un peu plus de place, elle est reléguée au rang de sorcière jeteuse de malédictions. Pour elle, Micheal n’est plus le petit-fils de Nora ; c’est un changeling qui a pris sa place… mais elle sait comment faire revenir le véritable petit garçon.
Hannah Kent nous offre ici un roman d’un réalisme poignant. L’atmosphère est lourde, l’ambiance est pesante. Grâce à des descriptions minutieuses mais jamais inutiles, l’autrice propose un bond dans le temps. Les petits chaumières sans fenêtre, remplie de courants d’air et d’humidité ; les vêtements trempés par la pluie, le feu de tourbe qui produit beaucoup de fumée mais peu de chaleur, la faim qui tenaille le ventre malgré les pommes de terre consommées à tous les repas, la douleur d’un accouchement par le siège sur un sol jonché de paille… et tous les rituels pour chasser le mauvais œil, plaire aux fairies, s’attirer la chance ou maudire le voisin. On s’y croit. C’est terriblement immersif.
On s’y croit tellement que j’ai été plus qu’émue par le sort de tous les personnages rencontrés dans ce roman et si j’en ai détestés quelques-uns : le nouveau curé accompagné de quelques-unes de ses ouailles ; j’ai au contraire eu beaucoup d’empathie pour les autres malgré les erreurs qu’ils font et les décisions terribles qu’ils prennent. Impossible pour moi d’en vouloir à Nora qui maltraite ce petit-fils qui n’est plus le sien, elle en est persuadée… et pourtant, impossible de rester insensible face à des scènes véritablement cruelles liées à des rituels principalement orchestrés par Nance Roche. Nance Roche parlons-en. Comment ne pas être touchée par cette vieille femme, animée des meilleures intentions, désirant véritablement utilisée son don pour faire le bien autour d’elle et qui reçoit beaucoup de malveillance en retour. La figure de la Sorcière, on est en plein dedans ! Et pourtant, c’est aussi à cause (en partie) de ses rituels, de ses convictions les plus ancrées, que le drame survient.
Que de douleur, chagrin, colère et parfois même espoir pendant cette lecture ! Que d’émotions ! J’avais tellement envie de croire, moi aussi, que les fairies étaient derrière tout ça et que Micheal était bien un changeling laissé là par les Bonnes Gens. Une telle ambiguïté se dégage de cette campagne irlandaise que malgré ma condition de lectrice du XXIe siècle au fait du rachitisme et d’autres maladies scientifiquement prouvées par la médecine, je ne peux m’empêcher de me laisser séduire par toutes ces superstitions qui peuplent encore les terres d’Irlande aujourd’hui.
Et j’ai plus que jamais envie de lire d’autres romans mais aussi d’autres études sérieuses au sujet de ces Bonnes Gens, de ce Petit Peuple (The Good People) dont l’utilisation fréquente dans le folklore celte est intimement liée à la société qui l’emploie. C’est passionnant sociologiquement et ethnologiquement !
D’ailleurs, je ne l’ai pas encore signalé, mais Dans la vallée est basé sur un fait réel dont le procès a été assez retentissant (le petit garçon s’appelait Michael !). Comme l’affaire de Bridget Cleary !
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