Justice pour Louie Sam de Elizabeth STEWART
Justice pour Louie Sam
de Elizabeth STEWART
Editions Thierry Magnier,
2014, p. 311
Première Publication : 2012
Pour l’acheter : Justice pour Louie Sam
Elizabeth Stewart est née au Canada. Elle écrit beaucoup pour la télévision et le cinéma et a reçu deux prix de la Writer’s Guild of Canada pour les séries The Adventures of Shirley Holmes et Guinevere Jones. Justice pour Louie Sam est son premier roman pour la jeunesse. Il a été récompensé par de nombreux prix au Canada.
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Fin du XIXe siècle, paysage aride du nord des États–Unis.
Un matin en allant à l’école, les enfants Gillies découvrent dans une maison en feu, le corps sans vie de leur voisin. Sans enquête, le coupable est aussitôt désigné : Louie Sam, un jeune Indien, qui a été vu dans les parages.
Dans cette cité de colons, situé à la frontière entre les États-Unis et le Canada, les relations avec les Indiens natifs sont encore difficiles. Les communautés ne se mélangent pas.
Les hommes du village décident de rendre justice eux mêmes. Ils organisent une chasse à l’homme pour capturer l’adolescent.
Mais George, l’aîné des Gillies comprend vite que la vérité n’est pas aussi simple, des incohérences sont très vite mises à jour et il décide de mener sa propre enquête. George, du haut de ses quize ans, pose des questions, trop de questions. Pourtant si Louie Sam n’est pas coupable, qui l’est ? Et dans cette société si fermée, à qui profite le crime ?
Plus attirée par la littérature de l’imaginaire, je ne suis pas habituée à lire des ouvrages traitant de faits réels. Malgré tout, je ne dis pas non à l’occasion, notamment lorsque l’aspect historique est de la partie et surtout lorsque le texte est destiné à la jeunesse.
Justice pour Louie Sam ne m’a pas déçue, il a rempli tous ses objectifs et toutes ses promesses. J’ai été très touchée par cette histoire percutante (qui est loin de m’avoir laissé indifférente !) et je ne doute pas qu’elle séduira de nombreux lecteurs, dès l’adolescence !
Tout se déroule sur quelques semaines à peine, en 1884, à la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. La cohabitation entre les colons blancs et les natifs indiens est encore difficile, ces derniers n’étant pas considérés comme des êtres humains à part entière. Certains blancs tentent discrètement de leur faire une petite place dans la communauté (mariage mixte notamment) mais globalement, ils ne sont considérés que comme des sous-hommes pestiférés auxquels on interdit de sortir de leur réserve, réserve « généreusement » allouée.
Alors forcément, quand un homme de la communauté des colons est retrouvé tué d’une balle dans la tête, le coupable est forcément le jeune indien qui se promenait dans le coin. Peu importe que des détails clochent et que plusieurs proches du défunt soient louches, il est plus facile et rassurant de rejeter la faute sur « l’étranger ». Et quand la justice gouvernementale s’en mêle ? La communauté touchée proteste : ce ne sont pas leurs affaires, c’est à eux de rendre la justice eux-mêmes ! Et ils n’hésitent pas ! Le jeune Louie Sam est exécuté violemment et soudainement en plein milieu de la nuit, pendu à un arbre par une délégation de justiciers qui souhaitent clore le chapitre rapidement… auraient-ils des choses à cacher ?
L’histoire pourrait s’arrêter là et tomber dans l’oubli mais la famille du jeune indien compte bien trouver le nom du véritable coupable, car le garçon l’a juré, ce n’était pas lui le meurtrier ! Certains colons moins crédules, plus honnêtes, commencent eux aussi à se poser des questions et à remettre en cause leur décision hâtive et peut-être pas si évidente…
Le lecteur découvre l’affaire à travers les yeux de George, 15 ans, narrateur unique. Aîné d’une grande famille, c’est lui qui, sur le chemin de l’école en compagnie de ses frères et sœurs, découvre le corps sans vie de leur voisin. Très vite, il se rallie aux adultes, persuadé de la culpabilité de l’indien, ne mettant absolument pas en doute les préceptes qu’on lui a assénés depuis l’enfance (Indien = étranger = méchant = coupable). Ravi de montrer qu’il est un homme, un vrai, George suit l’expédition punitive malgré l’interdiction de son père et assiste à l’exécution.
En découvrant finalement le visage si jeune et innocent du soi-disant coupable, le doute s’installe et ne le quitte plus, la culpabilité lui colle à la peau. Plus les jours passent, plus la vérité semble lui sauter aux yeux : il y a quelques de pourri dans la communauté… et si Louie avait dit la vérité ?
Tout l’intérêt de cette narration à la première personne du singulier (à laquelle je ne m’attendais pas en ouvrant le livre), réside dans l’évolution du héros qui va se poser de plus en plus de questions au fil des jours et finir par découvrir le pot aux roses. Malheureusement, fouiller dans les affaires des membres importants de la communauté est assez mal vu et bientôt, George et sa famille devienne des parias. Peu importe, l’adolescent l’a compris, il faut réparer l’injustice qui a été commise, quelles qu’en soient les conséquences !
Je ne vous le cache pas, cette histoire ne se termine pas bien. Louie Sam est exécuté froidement et malgré les évidences, le vrai coupable ne sera jamais arrêté, les Etats-Unis et le Canada préférant fermer les yeux sur de sombres magouilles qui auraient pu leur faire perdre beaucoup à chacun. De sombres histoires de politiciens mouillés jusqu’à l’os. Il faudra attendre 2006, soit plus d’un siècle plus tard, pour que l’Etat de Washington reconnaisse l’innocence de Louie Sam et le fait « qu’ils n’avaient pas su prendre des mesures adéquates pour identifier le véritable meurtrier et traduire en justice les organisateurs et les membres du groupe d’autodéfense ».
La soif de sang, la folie meurtrière et surtout la bêtise humaine liée à l’intolérance et au racisme me mettent hors de moi. Je n’ai pas lu ce livre en restant indifférente, bien au contraire ! Et je l’ai refermé très frustrée, très en colère et très triste. Malgré tout, je me dis qu’il y a quand même de l’espoir parce qu’il y a toujours des personnes assez fortes pour se rebeller et pour tenter de rétablir les injustices et les vérités, quoi qu’il leur en coûte !
J’ai eu un peu de mal avec le style au début car, comme je le disais plus haut, je ne m’attendais pas du tout à suivre l’histoire du point de vue interne, surtout narrée par un adolescent de 15 ans. Le style un peu naïf et les dialogues enfantins me laissaient un peu sceptique car me laissaient penser que la suite serait du même acabit, prenant le fait divers à la légère. Il m’est ensuite apparu évident que ce choix est le meilleur car place le lecteur au cœur de l’aventure et peut ainsi le faire réfléchir, en parallèle au héros, à ce que vit le jeune homme. Au début naïf, confiant dans la vie et dans ses convictions, il mûrit beaucoup pendant ces quelques semaines, son discours s’en ressent et devient de plus en plus grave.
Beaucoup d’adolescents pourront certainement se reconnaître dans les pensées de George. Nous ne vivons évidemment plus au dernier quart du XIXe siècle et nous ne sommes pas des colons blancs cohabitant avec des natifs indiens… mais la question de « l’étranger = la différence = le mal » est toujours d’actualité, quel que soit le pays et quelle que soit l’époque, malheureusement.
Combien auraient réagi de la même façon que George, suivant machinalement « l’enseignement » de son entourage, ne se posant même pas une question ? Combien suivent le troupeau, par conviction, par bêtise, par manque de discernement ? Elizabeth Stewart revient ici sur l’histoire d’une injustice, sur l’intolérance, le racisme et évidemment la bêtise et la cupidité des êtres humains. Autant de sujets qu’il est toujours bon d’aborder avec de futurs jeunes adultes, à mon avis.
Une lecture choc sur un fait divers ancien qui n’est finalement pas si éloigné de nos vies actuelles !
Merci aux éditions Thierry Magnier pour cette découverte !
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Ton article donne très envie de lire le livre.
Ce n’est pas une bonne chose. « A cause » de toi, ma pal augmente beaucoup trop vite 😉
Merci pour la chronique.
Même si je lis rarement des livres de ce type j’aime en lire de temps en temps et là tu me donne bien envie. Je trouve que de voie l’histoire du point de vue d’un enfant permet de traiter de sujet très grave sans pour autant en sortir complètement dépressif.