Le Coin des BD [4]
Avec ce quatrième numéro, je me concentre plus particulièrement sur trois biographies illustrées… et trois biographies qui m’ont, dans l’ensemble, énormément plu, aussi bien dans le fond que dans la forme ! C’est si rare que les deux aspects me séduisent que je ne peux m’empêcher de le noter et de me féliciter pour ces choix de lectures !
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Rimbaud l’indésirable de Xavier COSTE.
Casterman, 2013, 128 pages. Pour l’acheter : Rimbaud l’indésirable
« Comme moral et comme talent, ce Rimbaud est une monstruosité. Il a la mécanique des vers comme personne, seulement ses oeuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes. » Voici comment Arthur Rimbaud est décrit dans un rapport policier de 1873. Arthur Rimbaud est ancré dans l’imaginaire collectif, mais son histoire réelle est méconnue du grand public. Il n’a jamais connu le succès, ses poèmes ne lui ont jamais rapporté le moindre sou, et il est pourtant aujourd’hui l’un des poètes les plus connus et reconnus dans le monde. Cette bande dessinée de 120 pages prend le parti de raconter les deux vies de Rimbaud : le jeune poète arriviste, en mal de reconnaissance, qui vit une liaison sulfureuse et destructrice avec Paul Verlaine, et le trentenaire fatigué d’écrire et de vivre, qui se tue à la tâche en Afrique.
J’ai souhaité dépeindre le poète tel qu’il était décrit par ses proches : tour à tour manipulateur, sans-gêne, parfois carrément grossier. Bien loin de l’image trop lisse et réductrice du jeune poète romantique… Romantique, celui qui poussa Verlaine à bout, jusqu’à ce que ce dernier craque et tire deux balles dans sa direction ?
Jeune poète généralement connu pour ses frasques et sa relation avec Paul Verlaine, Arthur Rimbaud reste une personnalité assez mystérieuse et souvent incomprise. Je ne savais rien de sa vie avant cette lecture et ai donc été particulièrement surprise par ce que j’ai découvert, notamment dans la seconde partie de l’ouvrage. Je suis heureuse d’avoir succombé à la curiosité, texte et illustrations m’ayant beaucoup plu. Malgré tout, la figure ne me sera jamais sympathique et je n’adhère toujours pas à ses œuvres (je lui préfère largement son aîné Verlaine).
Vie courte mais particulièrement riche, le jeune Arthur a vécu intensément. Première fugue à 16 ans pour rejoindre la capitale française et devenir poète, entrée fracassante dans les cercles d’artistes parisiens après plusieurs essais infructueux, passion ravageuse pour Verlaine, homme marié et futur père de 10 ans son aîné… puis départ précipité en Afrique où il vivra une dizaine d’années du trafic d’armes avant de s’éteindre précocement et subitement d’un cancer à l’âge de 37 ans, amputé d’une jambe.
Rimbaud semble avoir vécu deux vies en une. La première : jeune amoureux obsédé par la poésie qu’il veut révolutionner (auprès de Verlaine), la deuxième : trentenaire qui renie son passé de poète à des milliers de kilomètres, vivant un quotidien totalement différent. Xavier Coste apporte une cassure assez nette en différenciant bien les couleurs utilisées pour chacune des deux vies. A Paris, Londres et Bruxelles, les teintes sont plus sombres, les décors « urbains » plus chargés alors qu’en Afrique, l’illustrateur choisit des couleurs proches du jaune. Je ne sais pas si on peut y voir une symbolique là-dedans puisque je ne sais pas si la première partie de la vie de Rimbaud fut vraiment plus sombre que la dernière… restons-en donc au simple désir de réalisme lié à l’environnement dans lequel évoluait alors le jeune homme.
J’ai beaucoup aimé en apprendre plus sur cet Arthur plutôt antipathique, imbu de lui-même et arriviste ; et je trouve que Xavier Coste offre là une biographie illustrée particulièrement intéressante et pertinente. Basés sur des faits avérés et contenant plusieurs petites anecdotes, c’est une façon agréable d’en apprendre plus sur le poète. Sans compter que le coup de crayon m’a séduite dès la première vignette. Une belle découverte donc !
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Martha Jane Cannary, Tomes 1 à 3 de Christian PERRISSIN et Matthieu BLANCHIN.
Futuropolis, 2008 à 2012, 108 à 128 pages. Pour l’acheter : Martha Jane Cannary, Tome 1
Née le 1er mai 1852 dans le Missouri, elle est l’aînée d’une famille de six enfants. Ses parents, de pauvres agriculteurs décident de tout abandonner pour aller vers l’Ouest, à Salt Lake City, où vit la plus grande communauté mormone. Elle a 15 ans quand ses parents meurent. Élevant seule sa fratrie, elle se retrouve contrainte de les abandonner pour ne pas avoir à se marier avec un homme qui la convoite. Sa vie aventureuse commence. Un peu partout sur les territoires des Wyoming, Dakota et Montana, on repérera le passage de cette extravagante jeune femme, cocher de diligence un jour, serveuse de saloon le lendemain, cow-girl, sage-femme, poseur de rails… mille petits boulots qui contribueront à lui tailler une réputation sulfureuse dans un Ouest à la fois sauvage et puritain et qui lui vaudront son surnom.
Si j’avais en tête quelques éléments de la vie d’Arthur Rimbaud, je ne savais en revanche rien du tout de l’histoire de Martha Jane Cannary plus connue sous le nom de Calamity Jane (si ce n’est qu’elle portait des pantalons et avait des habitudes assez « masculines » pour l’époque). En trois volumes, Blanchin et Perrissin tentent de retracer les aventures de la jeune femme, des toutes premières années de sa vie à sa disparition cinquante ans plus tard. Pour faire court avant de développer un peu plus en détail : j’ai absolument tout aimé dans cette trilogie !
Peu de sources sur le sujet sont parvenues jusqu’à nous. Ou disons plutôt que peu de sources « fiables » peuvent être utilisées. De son vivant, Martha Jane Cannary avait déjà l’habitude d’embellir son histoire lorsqu’elle avait à la raconter. Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, il paraît difficile de démêler le vrai du faux et l’on ne sait plus où s’arrête le mythe, où commence la réalité… mais après tout, est-ce bien important ? Les auteurs de cette série ont choisi de se baser sur certaines sources, ont-ils fait le bon choix ? Des historiens spécialisés les contrediront peut-être, de mon côté, j’ai apprécié ce que j’ai lu et découvert.
Martha Jane est l’aînée de six enfants. Ses parents décident de quitter le Missouri pour se diriger vers l’Ouest américain mais ils meurent tour à tour. Seule pour élever ses cinq frères et sœurs alors qu’elle n’est encore qu’une jeune adolescente, elle fuit et abandonne sa famille afin d’éviter un mariage avec un voisin insistant. C’est le début de l’errance et de l’aventure, entre plaines peuplées d’indiens et villes remplies de soldats. Tour à tour cuisinière, infirmière, lingère mais aussi convoyeuse, Martha Jane ne fait rien comme les autres et se forge très vite une réputation qui la précède où qu’elle aille. Souvent habillée en homme, sur le dos d’un cheval, un fusil à la main et éprise de liberté, elle choque les femmes et fascine l’autre sexe. Elle dit avoir eu une relation avec Wild Bill Hickock de laquelle serait née la petite Janey (d’autres sources indiquent que seule l’amitié existait entre les deux adultes, l’enfant aurait un autre père). Bien plus tard, après la perte d’un petit garçon en bas âge (d’un autre homme), elle met au monde une petite Jessie qu’elle présente comme sa petite-fille. Elle participe à plusieurs shows dont elle est la vedette, mettant en scène sa propre vie, développant un peu plus le mythe autour de Calamity Jane. Elle meurt finalement d’une pneumonie, cinquantenaire, alcoolique et pauvre… mais libre de ses choix !
Le fond m’a plu, c’est certain. Mais qu’en est-il de la « forme » ? Dans des teintes sépia, les illustrations précises et détaillées m’ont ravie. Les planches sont parfois divisées en vignettes bien distinctes mais sont également habillées de dessins et de leurs « légendes » un peu plus aléatoirement de temps en temps. Visuellement c’est particulièrement attractif. A noter également que la police de caractère utilisée dans les « bulles » diffère selon le narrateur et/ou celui qui donne la réplique, toutes donnant l’impression d’être écrite directement à la main. Je trouve que c’est une petite touche qui donne un certain cachet à l’ensemble et c’est très appréciable.
Calamity Jane fait partie de ces personnalités aux aventures riches et passionnantes. On ne saura certainement jamais la vérité vraie, le spectacle et l’exagération ayant toujours fait partie de sa vie, d’une certaine façon. Mais le mythe continue d’être entretenu, des décennies après… et n’est pas prêt de s’éteindre, à mon avis ! Tout m’a plu dans cette trilogie et j’espère pouvoir l’acquérir un prochain jour pour l’installer dans ma bibliothèque !
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Stevenson, le pirate intérieur de FOLLET et RODOLPHE.
Dupuis (Aire Libre), 2013, 71 pages. Pour l’acheter : Stevenson, le pirate intérieur
Doté d’une faible constitution, Robert Louis Stevenson, né en 1850, passa une partie de son enfance alité, en proie à une succession de maladies pulmonaires dont il eut à pâtir tout au long de son existence. Très tôt attiré par la littérature, il poursuivit néanmoins des études d’ingénieur puis d’avocat, selon le désir de son père, avant de décider de rompre avec toute idée de carrière dans ces domaines. Grand voyageur, il commença à publier de bonne heure. Profondément original et anticonformiste, il connut succès critiques et commerciaux qui firent de lui un écrivain reconnu de son vivant. L’aventure et le fantastique habitent cette oeuvre dont les titres les plus connus sont sans doute « L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde », « Le Maître de Ballantrae » ou encore « L’île au trésor ». Installé à partir de 1890 à Vailima, dans les îles Samoa, en compagnie de sa femme Fanny, il y passe la fin de sa vie, jusqu’à la crise d’apoplexie qui l’emporta à l’âge de 44 ans.
Troisième et dernière biographie illustrée présentée ici, et troisième personnalité que je ne connaissais finalement que très peu avant de parcourir l’ouvrage. Pour moi, Stevenson était l’auteur de L’Etrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, de l’Ile au trésor et du Maître de Ballantrae… et je savais vaguement qu’il était écossais, point. Rodolphe et Follet choisissent ici de retracer la (courte) vie de l’auteur, de son enfance malade à ses dernières heures dans les îles Samoa. On peut regretter une certaine brièveté (la bande-dessinée ne comporte « que » 71 pages) mais l’ensemble reste tout de même très agréable à parcourir, notamment visuellement parlant.
Robert Louis Stevenson a vécu toute sa vie avec des problèmes respiratoires lourds qui lui ont gâché son enfance (il devait rester au lit et souffrait de son environnement trop humide) et le poursuivront durant toute sa vie d’adulte. Il développe, en parallèle, ce qui semble être des hallucinations auditives et visuelles liées à ses lectures et à son imagination débordante (il est poursuivi par un pirate). Rodolphe et Follet lient cet état instable, ces visions et cauchemars, aux futurs écrits de l’auteur (L’Ile au trésor ou Docteur Jekyll et Mister Hyde pour ne citer que ces deux-là). Malgré tout, souvent affaibli, Stevenson se relève toujours et va de l’avant. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Fanny, femme mariée de dix ans son aînée, pour laquelle il traverse l’Atlantique et les Etats-Unis d’est en ouest. Avec elle il continue les voyages du côté du Pacifique, persistant envers et contre tout, toujours un crayon à la main et une histoire en tête.
Difficile de donner beaucoup de détails lorsque l’on ne possède que 70 planches pour le faire, difficile de retracer plus de 40 ans d’une vie dans ce petit espace… oui, j’ai parfois ressenti comme de la précipitation entre deux évènements, certains passant vraiment très rapidement ; mais je me demande finalement si développer davantage certains passages aurait été pertinent. Trop de détails peuvent casser le rythme (rappelez-vous, ce fut mon cas pour Olympe de Gouges) et sont vite noyés sous la masse.
Plus que le fond, c’est la forme que je retiendrai de ma lecture. Les illustrations, signées Follet, m’ont en effet beaucoup séduites par le mouvement qui s’en dégage, par le « coup » de crayon. L’application des couleurs possède un quelque chose plus proche des grandes œuvres picturales que des vignettes de bande-dessinées, en tout cas selon ma propre conception. Expressions des visages, décors extérieurs… c’est visuellement très beau !
Si peu d’éléments de la vie de Robert Louis Stevenson me resteront en tête, j’ai en revanche, après cette lecture, plus que jamais envie de lire l’œuvre de l’auteur (L’Ile au trésor et Le Maître de Ballantrae notamment) et envie de découvrir d’autres ouvrages illustrés par Follet ! Bilan plus que positif pour cette belle découverte !
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Je ne savais pas que Stevenson avait des hallucinations, c’est incroyable ! Je te recommande chaudement « l’île au trésor », c’est un roman éternel…
Trois bds très intéressantes, d’autant plus qu’elles retracent la vie de personnages célèbres.